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Rapport de la troisième visite de la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré (Charente-Maritime)

Rapport de la troisième visite de la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré (Charente-Maritime)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, au ministère de la justice auquel un délai de huit semaines a été fixé pour produire ses observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.

 

Synthèse

Six contrôleurs ont effectué une visite la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré, du 2 au 10 mai 2017, ils étaient présents aux parloirs et ont rencontré des familles, le samedi 6 mai 2017.

Ce contrôle constituait une troisième visite, l’établissement ayant été contrôlé en juin 2009 et en novembre 2010.

Un rapport de constat a été adressé le 20 décembre 2017 au chef d’établissement, au directeur du centre hospitalier de La Rochelle et au président et procureur de la République près le TGI de La Rochelle. Aucun n’a fait part d’observation. Pourtant, le chef d’établissement du centre pénitentiaire indiquait, dans un courriel adressé le 29 mars 2018 au CGLPL, avoir rédigé des observations transmises à sa hiérarchie en février 2018, observations qui ne sont pas parvenues au CGLPL de la part de l’administration pénitentiaire.

Le présent rapport dresse des constats parmi lesquels de nombreux avaient déjà fait l’objet de recommandations lors des deux premières visites.

Les difficultés liées à l’architecture et la vétusté des bâtiments se sont accentuées et rendent incompréhensible l’investissement dans une nouvelle structure construite de manière inadaptée. Ce rapport fait état de la faiblesse des projets de réhabilitation qui ne correspondent pas à l’ampleur des besoins réels.

La maison centrale (MC) de Saint-Martin-de-Ré est une ancienne fortification de type Vauban achevée en 1681, constituée de deux implantations séparées, devenues quartiers de détention dans les années 70 : la Citadelle et la Caserne. La MC est implantée dans le Nord-est de l’ile de Ré, à 20 km du pont à péage qui la relie au continent. Sa situation géographique complexifie au fil des années les possibilités d’hébergement du personnel, rend très onéreuse la visite des familles et limite la possibilité de faire appel à des partenariats en vue de la réinsertion des personnes détenues.

C’est une structure vieillissante qui fait face à une importante vétusté et n’est pas adaptée aux évolutions nécessaires de la politique pénitentiaire. Comme lors des deux précédentes visites, les contrôleurs ont dû faire les mêmes constats quant à la vétusté des locaux, à l’absence de fonctionnalité de certains équipements (les ateliers, la cuisine, la santé, l’absence de locaux socio-éducatifs) et aux lieux de vie des personnes détenues qui ne répondent toujours pas aux standards européens. L’hébergement s’effectue toujours dans des cellules de 6,50 m² (3,40 x 1,90 m), sans eau chaude, et avec des blocs sanitaires inadaptés. Désormais l’établissement est en régime portes fermées ce qui rend ces conditions d’incarcération indignes encore plus difficile à vivre pour les personnes détenues.

Le dernier rapport de visite du CGLPL, faisant rappel de recommandations en la matière, n’avait pas fait l’objet d’observation de la part du ministère de la justice, probablement en raison d’une fermeture annoncée de l’établissement. Depuis, cette fermeture n’est plus d’actualité mais elle a entraîné un défaut d’investissement durant plusieurs années, accentuant les dégradations dues à la vétusté globale.

Début 2016, a été décidée la réhabilitation de la cour de promenade de la Caserne, visant à la fois la suppression de huit préfabriqués appelés « casinos », et la création d’un gymnase au profit des personnes détenues. Il était nécessaire que l’administration se réapproprie des espaces dénués d’encadrement, totalement gérés par des communautés constituées par cooptation par la population pénale, au détriment des plus faibles et probablement au bénéfice de trafics. Néanmoins, il est surprenant que ce problème connu de longue date ne se soit pas accompagné d’un schéma directeur sur la réhabilitation de cet établissement et plus particulièrement sur la question des lieux d’activité et de convivialité proposés aux personnes détenues. Pour l’heure, ce choix entraîne une réduction du nombre des lieux de vie et de la surface de la cour de promenade qui contrebalançaient l’étroitesse des cellules. Pire encore, malgré la vaste superficie de l’établissement, le gymnase a été construit à environ 3 m des fenêtres des cellules du bâtiment B, obstruant toute visibilité et aggravant les conditions de détention déjà peu satisfaisantes.

Il apparaît d’ores et déjà que la question des lieux de convivialité sera vite une exigence ; l’établissement aura les plus grandes difficultés à en faire abstraction et risque de voir se recréer des lieux présentant les mêmes défauts que les « casinos ».

Le mécontentement des professionnels et des personnes détenues occulte les aspects positifs qu’apporte ce projet. Tous trouvent illogique l’effort financier porté dans ce projet alors qu’il est désormais impossible d’obtenir de menues réparations au sein des cellules, que tous les bâtiments sont dégradés et que les professionnels de santé exercent toujours dans des locaux inadaptés. Le quartier disciplinaire de dix cellules, situé à la Caserne, nécessite un transfert en véhicule, par la voie publique, opération rendue plus compliquée en période estivale compte tenu de la fréquentation touristique. Ce déplacement expose les agents et les personnes détenues à des dangers supplémentaires, notamment quand il s’effectue dans un climat de grande tension. La situation du quartier d’isolement expose les personnes détenues à des codétenus qu’elles ont cherché à fuir et qui les poursuivent par des invectives proférées par les fenêtres. En raison du manque d’équipement, les périodes d’isolement, même longues, se déroulent dans le désœuvrement.

Les relations au sein du personnel et entre le personnel et les personnes détenues sont parfois extrêmement tendues.

La Citadelle et la Caserne sont quasiment deux établissements aux fonctionnements et identités bien distincts, tant dans la gestion du personnel que dans celle des personnes détenues.

Lors des précédentes visites, il avait été constaté que les conditions de détention étaient contrebalancées par des rapports détenus-surveillants et des relations humaines dites de proximité et de qualité, hormis pour une équipe d’agents de surveillance directement mise en cause (des mesures avaient été prises pour mettre fin aux comportements intolérables de cette équipe). Aujourd’hui, les contrôleurs ont pu constater que la réalité vécue par l’ensemble des personnes détenues et des professionnels ou intervenants rencontrés était loin d’être satisfaisant. Il a été indiqué à de nombreuses reprises, par des professionnels en désaccord ou par les personnes détenues, que certains agents usaient fréquemment de comportements jugés violents ou de propos inadmissibles. Dans ce contexte, un incident grave qui s’est déroulé en août 2016[1], ayant entraîné le décès d’une personne détenue, a été particulièrement mal vécu par les personnes détenues. Les informations véhiculées autour de ce drame au sein de la détention alimentent un climat de tension déjà très prégnant.

De nombreuses personnes détenues ayant demandé leur orientation dans cet établissement souhaitent finalement en repartir rapidement, considérant l’ambiance conflictuelle difficile à vivre et craignant même leur propre passage à l’acte qui pourrait les voir condamner à de nouvelles peines.

Le personnel de l’établissement doit être accompagné pour revenir à des pratiques professionnelles normales.

Certaines mesures ont été entreprises par la direction récemment renouvelée ; l’établissement peine à construire un projet lisible fédérant les professionnels autour de pratiques professionnelles cohérentes et communes qui permettraient de donner une dynamique plus positive. Pour tenter d’améliorer cette situation, il est proposé un plan de formation pour lutter contre les violences et aider à la construction d’une « bonne posture professionnelle » ; la direction anime une « cellule de prise en charge des risques psycho-sociaux de l’établissement » en faveur des agents. Ces actions, comme les suites disciplinaires qui pourraient intervenir pour sanctionner des positions professionnelles inadmissibles, seront probablement propices à poser les bases d’un fonctionnement institutionnel plus apaisé.

Des mesures pourraient être prises pour améliorer le quotidien des personnes détenues. Les personnes détenues n’ont pas de réponse à leurs demandes écrites et indiquent que l’administration s’affranchit de son obligation de réponse dans les deux mois. Elles mettent en place des stratégies individuelles, consistant par exemple à adresser le courrier par la voie postale voire à adresser le courrier à la DISP de Bordeaux. De nombreuses demandes sont adressées au premier agent qu’elles croisent mais les réponses sont divergentes, ajoutant au sentiment de délaissement et d’arbitraire. Par ailleurs, des indiscrétions ou maladresses sont commises sur les courriers des personnes détenues dont la gestion ne respecte pas la confidentialité.

Sur les six cabines téléphoniques qui ont été installées dans la cour de promenade de la Caserne, seules trois sont en état de fonctionnement. Il en est de même à la Citadelle où les postes se situent, en outre, dans la coursive, ne permettant aucune confidentialité. En l’absence du surveillant chargé de la gestion du téléphone, personne ne s’occupe de réactualiser les numéros autorisés.

Le PEP, qui manque de dynamisme et d’efficacité, mériterait qu’une nouvelle organisation avec des activités adaptées, soit réfléchie et mise en œuvre.

Le projet de « cyber base » est loin des objectifs fixés. Le système devient obsolète, présente un nombre croissant de dysfonctionnements et ne remplit plus sa fonction de lutte contre la fracture numérique et sociale.

Les cantines manquent de produits essentiels, certains sont vendus avec une marge excessive et les commandes hors catalogue sont compliquées.

Comme constaté lors de la visite précédente, près d’un quart des travailleurs perçoivent une rémunération inférieure au plancher fixée par l’administration pénitentiaire.

En principe, les portes des cellules sont maintenues fermées, sauf celles des auxiliaires. Par tolérance, certains surveillants accordent aussi la possibilité à deux personnes détenues d’un même bâtiment de se retrouver dans la cellule de l’une des deux. Ce régime fermé, assorti de nombreuses exceptions dépendant trop souvent de la décision des agents, est susceptible d’entraîner des incompréhensions et de l’insécurité.

Ces questions, essentielles, semblent négligées alors qu’elles devraient constituer une priorité compte tenu de l’état des relations entre le personnel et les personnes détenues qui sont teintées de défiance.

Les contrôleurs ont pu aussi constater que cet établissement bénéficie d’atouts majeurs. Un quartier a entièrement été rénové pour permettre l’accueil des arrivants. La procédure d’accueil répond aux règles pénitentiaires européennes.

Les personnes détenues ont de nombreuses possibilités de maintien des liens familiaux (parloirs classiques, salons familiaux et unités de vie familiale) qui se déroulent avec beaucoup de bienveillance de la part du personnel qui en a la charge. Le taux des personnes détenues qui bénéficient d’un travail est satisfaisant, environ 61 %.

A la Caserne, la bibliothèque ne se situe plus dans un casino mais au cœur du bâtiment d’hébergement de façon à permettre un accès surveillé et donc plus sécurisé. De nombreuses personnes détenues sont reçues par les visiteurs de prison sans difficulté. L’enseignement et les activités sportives sont de qualité.

Ces éléments sont de nature à améliorer le quotidien. Mais au jour de la visite, les conditions de détention étaient difficiles et les tensions restaient palpables. En l’absence de travaux d’envergure de nature à améliorer les conditions d’hébergement, de travail et de réinsertion, les constats déjà réalisés resteront inchangés et les professionnels risquent de ne pas reconsidérer leurs pratiques et de ne pas s’investir dans le cadre d’un projet d’établissement enfin rendu cohérent.

[1] Le rapport d’inspection des services pénitentiaires, en date du 7 novembre 2016, relatif à cet incident préconise le renvoi en conseil de discipline de plusieurs agents.