Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Rapport de la deuxième visite du centre de détention d’Ecrouves (Meurthe-et-Moselle)

Rapport de la deuxième visite du centre de détention d’Ecrouves (Meurthe-et-Moselle)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères de la justice et de la santé auxquels un délai de huit semaines a été fixé pour produire leurs observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite.

Suivi des recommandations à 3 ans – Centre de détention d’Ecrouves (2e visite)

 

Synthèse

En application de la loi du 30 octobre 2007 instituant le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, six contrôleurs ont effectué un contrôle du centre de détention d’Ecrouves (Meurthe-et-Moselle) du 1er au 9 août 2016. Cette mission constituait une deuxième visite, faisant suite à un premier contrôle réalisé en mars 2011.

Un rapport de constat a été adressé le 24 juillet 2017 au directeur du centre de détention, au directeur du centre hospitalier de Toul, au directeur du centre hospitalier universitaire de Nancy ainsi qu’au directeur du centre psychothérapique de Nancy. Seul ce dernier a fait part d’observations qui ont été prises en compte dans la rédaction du présent rapport.

Le centre de détention d’Ecrouves est aménagé sur un vaste domaine, dans les locaux d’une caserne militaire construite en 1913. Le projet de fermeture de cet établissement annoncé en 2010 par le ministère de la justice, bien qu’abandonné depuis, a eu pour conséquence de figer pendant plusieurs années tout investissement immobilier lourd. La structure apparaît dès lors vétuste voire délabrée à bien des égards, malgré le soin apporté par les services techniques à son entretien courant.

Au regard de la population pénale, le 4 août 2016, 253 personnes détenues étaient écrouées et hébergées au centre de détention d’Ecrouves, pour une capacité de 269 places. Il s’agissait d’une population jeune (31 ans en moyenne) pour une grande majorité exécutant une peine correctionnelle (83 %) d’une durée moyenne de 13 à 16 mois et qui ne sont pas originaires du département (94 %). La majorité des personnes détenues bénéficiaient d’un régime portes ouvertes mais les régimes différenciés mis en œuvre dans cet établissement – libéral (ou portes ouvertes), contrôlé (ou portes fermées) et protégé (pour les personnes vulnérables) – vont subir très prochainement des évolutions sensibles. Au terme d’un processus de consultation interne visant à réduire les violences et trafics en détention, les mesures suivantes ont été décidées en juin 2016 : renforcement de la sectorisation, avec fermeture des grilles palières de séparation ; augmentation du nombre de places en régime contrôlé et motivation et notification des décisions de placement en régime contrôlé.

Une carence importante en personnel de surveillance (93 en effectif réel contre 101 en effectif théorique) a de multiples conséquences négatives tant pour les personnes détenues que pour le personnel de surveillance lui-même : le report sine die de la mise en service des UVF pourtant opérationnelles depuis début 2015 et d’autant plus attendues par les personnes détenues que leurs proches ne résident pour l’essentiel pas dans le département ; l’augmentation constante du nombre d’heures supplémentaires jusqu’à épuisement de certains agents entraînant à la fois un dépassement de la limite trimestrielle permettant leur mise en paiement, et un nombre important d’arrêts maladie, eux-mêmes générateurs d’heures supplémentaires.

Un certain nombre de points positifs ont été relevés lors de la visite, parmi lesquels : un parcours d’exécution de peine riche et dynamique, des modules de formation performants, une offre large d’activités sportives, une bibliothèque très agréable, un quartier des arrivants au programme dense et animé par une équipe de surveillants spécialement affectés, une expression collective de la population pénale en cours de développement.

En revanche, alors que le premier rapport de visite ne formulait qu’un nombre restreint de recommandations, la visite de 2016 a révélé des atteintes aux droits fondamentaux de nature et gravité diverses.

La plus importante d’entre elles découle de la pratique indigne des fouilles (par un officier et un major) qui débutent entre 6h40 et 7h du matin, avant l’ouverture des portes de cellule. Le chef du bâtiment réveille la personne détenue et lui demande de le suivre à la douche afin de réaliser la fouille corporelle. Celle-ci a été dénoncée très largement, à la fois par les personnes détenues et par des membres du personnel, comme vexatoire et dégradante, procédant notamment de l’utilisation du détecteur manuel de métaux entre les parties génitales des personnes détenues. A cela s’ajoutent des fouilles de cellule brutales, occasionnant des dégâts matériels importants sur les biens et meubles des personnes détenues. Le rapport de visite recommande ainsi que « la pratique actuelle des fouilles individuelles humiliantes et arbitraires doit cesser immédiatement, au profit de fouilles respectueuses de l’individu, conformément aux dispositions de la loi pénitentiaire ; une note de service claire du chef d’établissement doit être édictée pour rappeler chacun à l’essence de sa fonction ». (§ 6.3)

Les conditions matérielles de détention n’assurent pas le respect de la dignité des personnes détenues. L’hygiène est défaillante dans les bâtiments d’hébergement, notamment les sols des parties communes ou les douches du quartier des « arrivants ». La maintenance des bâtiments d’hébergement, et en particulier celle des cellules, doit être assurée avec davantage de rigueur en termes de suivi des travaux et davantage de diligence quant à leur exécution. Le quartier d’isolement ne témoigne d’aucun investissement en termes d’activités, qu’il s’agisse d’une bibliothèque, de matériel de sport ou de jeux.

En ce qui concerne le maintien des liens familiaux, les parloirs constitués de boxes semi-ouverts dans une grande salle ne sont pas insonorisés et ne permettent pas la moindre intimité alors même que des rapports sexuels y sont notoirement tolérés. Depuis la mise en place du logiciel GENESIS, la réservation de parloirs prolongés n’est plus possible et la borne électronique située dans l’« abri-famille » hors d’usage. Ledit abri est un local laissé à l’abandon et dans un état d’hygiène déplorable. La demande première des personnes détenues concerne l’ouverture effective des UVF qui, bien qu’opérationnelles depuis dix-huit mois au moment de la visite, n’ont jamais été utilisées faute de personnel de surveillance suffisant.

Le traitement des requêtes est à revoir. L’établissement dispose d’une borne électronique de traitement des requêtes qui n’a jamais été installée. A l’exception des demandes adressées à l’unité sanitaire, le recueil des requêtes écrites transite par le personnel de surveillance en détention et transmises aux services concernés sans faire l’objet d’un accusé de réception. Le délai de traitement des requêtes n’est pas uniforme selon les services, le SPIP et la comptabilité présentant les délais les plus importants.

La situation du SPIP lors de la visite était préoccupante. Essentiellement composé d’agents pré-affectés, le service reposait sur un seul CPIP expérimenté mais proche de la retraite. Les délais de réponse aux demandes et de tenue des entretiens portaient préjudice aux situations des personnes détenues, alors même que les tâches assumées par ce service étaient réduites au strict minimum, l’établissement des documents d’identité n’entrant par exemple plus dans leurs compétences. Plus globalement, l’accès au droit est un domaine à améliorer dans la mesure où les personnes détenues n’ont connaissance ni de l’existence d’un point d’accès au droit, ni de la possibilité de saisir le délégué du Défenseur des droits. Au-delà de la nécessité de renforcer l’information des personnes détenues, il conviendrait aussi de renforcer le point d’accès au droit par des permanences d’avocats et d’associer plus étroitement le délégué du Défenseur des droits à la vie de l’établissement.

La prise en charge sanitaire appelle également des observations dont certaines étaient déjà formulées dans le rapport de visite précédent et auxquelles le ministère de la santé s’était engagé à remédier. Au regard du manque de confidentialité constaté lors des consultations médicales intra- et extra-muros, il est notamment urgent que le surveillant pénitentiaire affecté à l’unité sanitaire cesse d’utiliser le poste de travail dans le bureau infirmier, condition élémentaire pour respecter la confidentialité des soins et le secret médical. De même, il convient de ranger les dossiers médicaux dans une armoire fermant à clé et mettre en place une procédure d’accès qui offre toute garantie en matière de confidentialité des informations médicales. L’offre de soins psychiatriques et l’offre de soins dentaires doivent également être renforcées au regard des besoins. Pour les consultations extra-muros, les mesures de contrainte doivent être adaptées (utilisation des entraves et des menottes) à la situation de chaque personne détenue mais l’escorte ne doit en aucun cas porter atteinte à la confidentialité des soins et au secret médical pendant la consultation elle-même.

En ce qui concerne les activités professionnelles, celles-ci mériteraient une prospection plus active de nouveaux concessionnaires (lors de la visite des contrôleurs, seules 62 personnes détenues travaillaient aux ateliers contre plus de 110 en 2011) la réglementation du travail n’était pas respectée dans les ateliers, notamment au regard de l’absence de tenue de travail, de gants ou chaussures de sécurité, ou du défaut d’encadrement des travailleurs par les contremaîtres civils.