Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Rapport de la deuxième visite du centre de rétention administrative des Abymes (Guadeloupe)

Rapport de la deuxième visite du centre de rétention administrative des Abymes (Guadeloupe)

Observations du ministre de l’intérieur – CRA des Abymes (2e visite)

 

SYNTHESE

Trois contrôleurs du contrôle général des lieux de privation de liberté (CGLPL) ont effectué une visite du centre de rétention administrative des Abymes (Guadeloupe) les 1er et 2 juin 2015. De cette visite, la seconde opérée par le CGLPL, la première ayant eu lieu en novembre 2010, ressortent les constats suivants.

La prise en charge matérielle demeure rudimentaire : les chambres ne sont meublées que de lits, d’une table et parfois de chaises. Si des moustiquaires ont pu être installées, elles ont disparu et rien ne fait obstacle aux moustiques, qui se multiplient dans le dépôt voisin d’automobiles saisies depuis des années, rouillées et pochées d’eau stagnante. La moitié des policiers du centre ont été ainsi contaminés lors de la dernière épidémie de chikungunya.

L’hébergement des femmes est situé à proximité du poste de garde, une des chambres, naturellement la plus occupée et dont la porte n’est pas opaque, est sous la vue directe des policiers en méconnaissance du droit élémentaire à l’intimité. Si les fenêtres des chambres des femmes ont été changées depuis la visite précédente, il est regrettable qu’au lieu de vitrage elles soient constituées de panneaux de plastique, donc totalement opaques et dépourvues de moustiquaires.

La cour n’est pas accessible librement ; les retenus devant y séjourner sous la surveillance d’un agent, les temps de promenade sont réduits. Pour rencontrer l’infirmière, la représentante de l’OFII ou celles de la Cimade, les retenus doivent se signaler auprès des policiers qui commandent les portes d’accès à leurs bureaux respectifs.

La salle de visite est située à l’étage, contiguë du greffe dont elle est séparée par une cloison mobile en verre et dont les agents peuvent aisément entendre les conversations et voir les visiteurs lorsque le paravent prévu pour les masquer n’est pas déployé. Les visites peuvent également se dérouler dans le hall d’accueil, face au poste, où un banc est installé et où le droit à l’intimité n’est pas mieux respecté.

Toutefois, un effort est réalisé pour offrir des activités aux personnes retenues : acquisition d’un baby-foot, mise à disposition de jeux de société et acquisition de journaux dans différentes langues – dans la mesure où ils sont disponibles dans le commerce ; ces efforts sont suffisamment rares dans de telles structures pour être soulignés

Le droit à la santé est mis en œuvre a minima et dans des conditions peu respectueuses du secret médical : aucun médecin ne se rend au CRA ; lorsque les personnes retenues sont conduites à la clinique avec laquelle le centre a passé une convention, l’escorte reste présente pendant les consultations ;  les documents médicaux sont conservés au greffe et les médicaments sont distribués par les fonctionnaires de police pendant les week-end, toutes pratiques qui devraient être proscrites.

Les relations entre les représentantes de la Cimade et les policiers sont suspicieuses ; aucune entente n’est perceptible non plus avec la salariée de l’OFII ou l’infirmière. Ce défaut de cohésion dans la prise en charge est de toute évidence dommageable.

Ainsi, les nombreuses demandes d’asile formulées le sont avec l’aide d’avocats qui se déplacent au centre pour ce faire. Situation exceptionnelle, le CRA des Abymes est sans doute le seul sur le territoire à voir des membres d’un barreau. Cependant, alors que les motifs de ces demandes sont le plus souvent sommaires (« je veux demander l’asile car je ne veux pas rentrer dans mon pays »), les avocats se font verser par la famille une somme variant de 900 à 1 300 €. La cheffe du centre a exigé que le paiement, toujours en espèces, ait lieu en dehors des locaux du CRA. Il est donc le plus souvent effectué à la porte, par les proches. Alors que ces pratiques sont contestables, les policiers n’insistent pas pour adresser les personnes retenues vers la Cimade pour aider à la présentation gratuite de la demande d’asile. En 2014, 291 demandes ont été transmises à l’OFPRA, la quasi-totalité des Haïtiens en ont présenté une. Aucune n’a abouti.

Ces demandes d’asile exceptionnellement nombreuses expliquent en partie une durée moyenne de séjour de 4,38 jours, relativement longue au regard de la nationalité des personnes pour lesquelles la reconduite ne pose aucun problème ni matériel ni administratifs : Haïtiens, Dominiquais et Dominicains représentent en effet 86 % des personnes retenues et l’éloignement de ces nationaux est très aisé, les autorités de ces pays ne faisant aucune difficulté pour délivrer des laissez-passer, voire, comme la Dominique (représentée par la femme du consul lequel n’est même que le consul honoraire), se contentent de « laissez-passer préfectoraux ». Ces facilités offertes par la Dominique, qui ne vérifie pas la nationalité des personnes concernées, emportent le risque d’y voir éloignées des personnes qui n’en sont pas ressortissantes.

Les droits sont notifiés sur un imprimé type, les délais de recours mentionnés sur ceux de la préfecture de Saint-Martin sont erronés ce qui n’a jamais troublé personne. En tant que de besoin, les policiers font office d’interprète en créole, anglais ou espagnol. Il a été affirmé qu’ils ne sont rémunérés pour cette prestation que lorsqu’ils se déplacent à cette fin hors de leur temps de service.

Aussi, la longueur du séjour moyen s’explique par une utilisation intensive de la procédure de demande d’asile afin de retarder le départ et, le temps que l’OFPRA statue, de se donner la chance de passer devant le JLD.

Si le droit à demander l’asile est scrupuleusement respecté, son utilisation systématique prend un caractère de détournement de sa finalité qu’il y a sans doute lieu de regretter. Une coordination plus serrée entre les intervenants, notamment une meilleure reconnaissance de la mission de la Cimade, permettrait de limiter cette pratique.

Un traitement « humain » des éloignements est récompensé par un nombre infime de refus d’embarquement (un seul en 2014) ou d’escortes (une en 2014 et une en 2015).