Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Rapport de la deuxième visite du centre de détention d’Argentan (Orne)

Rapport de la deuxième visite du centre de détention d’Argentan (Orne)

Observations du ministre de la santé – CD d’Argentan (2e visite)

Le rapport de visite a été communiqué, conformément à la loi du 30 octobre 2007, aux ministères intéressés auxquels un délai de huit semaines a été fixé pour produire leurs observations. A la date de publication de ce rapport, aucune observation n’a été produite par le ministère de la justice.

 

SYNTHESE

Huit contrôleurs du contrôle général des lieux de privation de liberté (CGLPL) ont effectué, du 30 novembre au 9 décembre 2015, un contrôle du centre de détention d’Argentan (Orne). Cet établissement avait déjà fait l’objet d’un premier contrôle en mars 2009.

Postérieurement à cette seconde visite, un rapport de constat a été rédigé et envoyé le 9 juin 2016 au chef d’établissement. Le directeur du CD a fait connaître ses observations et celles du gestionnaire privé, chacun dans leur domaine de compétence, dans un courrier du 29 août 2016. Le directeur du centre hospitalier d’Argentan a aussi fait part de ses observations dans un courrier en date du 1er août 2016. En revanche, aucune observation n’est parvenue en provenance du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP).

De nombreux problèmes liés à l’architecture persistent. Ils ne permettent pas une installation efficiente des professionnels et induisent des difficultés de fonctionnement à l’égard des personnes détenues

Le CD, édifié au titre du « Plan 13000 », a reçu les premières personnes détenues en avril 1991 ; situé à moins de 4 km du centre d’Argentan et de sa gare, il est structurant pour l’économie de l’agglomération et justifie la permanence du tribunal de grande instance et de fonctionnaires de police particulièrement affectés à son fonctionnement.

Malgré les réponses des ministres de la justice et de la santé aux observations formulées lors du contrôle effectué en 2009, aucune évolution de la structure immobilière n’a été entreprise. Ainsi, les locaux de l’unité sanitaire (US) restent inadaptés. Les projets d’agrandissement qui devaient permettre une meilleure installation des professionnels, une confidentialité des soins et une diversification des spécialités ne semblent plus être à l’ordre du jour.

De même, les locaux affectés au SPIP sont insuffisants.

Les installations électriques, de faible ampérage, empêchent toujours d’installer des plaques électriques dans les cellules.

Un seul projet immobilier prévoit la construction, à compter de mars 2016 de 4 parloirs familiaux et de 5 unités de vie familiale (UVF), ce qui constituera un apport indéniable au fonctionnement général de cet établissement qui accueille des personnes détenues le plus souvent éloignées de leur famille. Ces dernières, qui ne disposent actuellement d’un parloir qu’une fois par semaine en week-end, doivent toujours s’acquitter du coût d’un taxi pour se rendre au CD en l’absence de transports en commun.

Un établissement qui accueille, avec un taux d’activité correct, une population pénale toujours aussi hétérogène qui subit l’affectation dans ce CD dans lequel les phénomènes de violence entre détenus semblent réguler la vie interne.

La capacité théorique d’accueil de l’établissement est de 636 places. Au 1er décembre 2015, l’établissement accueillait 571 personnes écrouées, dont 551 hébergées ; les 20 personnes non hébergées mais comptabilisées à l’écrou étaient en placement sous surveillance électronique (18) ou en placement extérieur (2). 516 détenus sont condamnés à des peines correctionnelles dont 251 inférieures à un an.

46 % des personnes détenues ont moins de 30 ans et sont majoritairement incarcérées pour des faits de violence (204) ; malgré la labellisation de l’établissement pour l’accueil des auteurs d’infraction à caractère sexuel, leur nombre est en baisse constante.

Lors de la visite de 2009, le taux d’occupation de l’établissement était de 96 % ; depuis, la situation s’est améliorée, l’effectif des personnes détenues est inférieur aux moyennes habituellement connues de l’établissement depuis 2013, à la suite de plusieurs événements violents (mutinerie, prise d’otage). Le taux d’occupation actuel est de 86 % et la politique d’affectation des personnes détenues semble tenir compte des particularités de cet établissement malgré la surpopulation observée dans les établissements périphériques.

Néanmoins, l’absence d’homogénéité de la population accueillie, observée en 2009, reste d’actualité et suscite toujours des difficultés de gestion. Le CD reçoit, afin de diminuer la population d’autres établissements, des condamnés en fin de peine de nombreuses maisons d’arrêt, qui constituent souvent une population sensiblement différente de celle traditionnellement accueillie. La coexistence de ces populations pénales n’est pas toujours commode à gérer. Le CD reçoit toujours des personnes détenues des établissements surencombrés de la région du grand Ouest et de la région parisienne. Il s’agit de personnes très jeunes, aux reliquats de peine très courts : 18 % moins de 1 an et 36 % de 1 à 3 ans.

La plupart des personnes détenues subissent cette affectation, sont en difficulté pour maintenir des liens familiaux et mettent l’établissement à l’épreuve. Dans ce contexte, le CD rencontre des difficultés pour élaborer un projet de prise en charge interinstitutionnel axé sur l’autonomisation au sein de la détention, la préparation de la sortie et la mise en place de projets d’aménagement de peines, pour le moment, très peu développés.

Le dynamisme de la politique d’aménagement de peines observé en 2009 n’est plus du tout d’actualité. Alors que le taux des mesures adoptées était alors sensiblement supérieur aux taux nationaux et une majorité de demandes était satisfaite, ce qui contribuait à n’en pas douter à une gestion plus aisée de la population ; depuis, le contrôle a reçu nombre de doléances des personnes détenues sur les difficultés à rencontrer leur CPIP et l’absence de réponses des magistrats sur leur demande d’aménagement de peines.

Un établissement qui rencontre de nombreuses problématiques de violence et qui peine à établir une politique inter institutionnelle de régulation de la vie en détention

A de nombreuses reprises au cours de la visite, des personnes détenues, des membres du personnel de surveillance et des intervenants ont affirmé aux contrôleurs avoir été témoins, ou avoir été informés d’événements d’une violence extrêmement grave. Selon les témoignages recueillis, les violences entre personnes détenues seraient fréquentes et constitueraient pour une grande part le mode de régulation de la vie interne de l’établissement. Certaines personnes détenues se seraient ainsi arrogé le droit de décider de ce qui est ou non autorisé, et imposeraient leurs règles aux plus vulnérables, sans que cela n’entraîne une intervention systématique des autorités. Comme en 2009, la présence des surveillants dans les coursives n’est pas assurée de manière continue, le positionnement des caméras ne permet pas une surveillance optimale et l’absence d’enregistrement ne permettent pas de recueillir des éléments de preuve. Les témoignages sont donc impossibles. Les personnes détenues ont fait part de leur sentiment d’insécurité, accentué par plusieurs passages à l’acte grave, dont une victime est, par exemple, restée tétraplégique.

Si les chiffres des incidents signalés ne sont pas supérieurs à la moyenne régionale des violences entre personnes détenues, de l’avis de tous les interlocuteurs interrogés, ils ne reflètent que le nombre d’incidents connus et traités par l’établissement, pour lesquels des éléments de preuve ont pu être recueillis.

L’affectation des détenus en bâtiment est animée par le souci de leur éviter qu’ils ne soient confrontés à des phénomènes de violence ou de racket. Si cette préoccupation est louable, elle démontre aussi à quel point cet établissement intègre cet état de fait, plus qu’il ne cherche, de manière collective, à l’endiguer. Le personnel est désemparé et adopte une attitude fataliste ou inadaptée vis-à-vis de ce fonctionnement.

Par ailleurs, l’introduction d’objets (téléphones, tablettes) en l’absence de projections, interroge sur les modes d’entrées.

La « poursuite systématique » par le parquet et la condamnation à des peines supplémentaires des personnes qui possèdent ces objets, ajoutées aux éléments décrits supra, font apparaître le CD comme un établissement où la détention est relativement difficile, sévère, et sans perspective de réinsertion.

De fortes tensions existent entre les différents partenaires, notamment au niveau des responsables de services : direction pénitentiaire, DSPIP, unité sanitaire somatique et de santé mentale (psychologues et psychiatres).

L’administration pénitentiaire, ainsi que les autorités judiciaires et médicales sont parfaitement au fait de ces réalités. Des réunions se sont déroulées ou sont programmées sur ce sujet. Néanmoins, le fonctionnement isolé de chaque service, le manque de dialogue (voire les conflits), l’inexistence de projet conjoint de prise en charge des personnes détenues, sont de réels freins à une évolution de la situation.

En dépit de ces inconvénients majeurs, malgré le manque de 15 agents par rapport à l’organigramme des surveillants, l’absentéisme s’avère faible et les postes sont tenus de manière à éviter la mise en œuvre d’un mode dégradé. Le personnel de surveillance affecté à l’établissement l’est de manière relativement stable.

Par ailleurs, l’établissement présente un taux d’occupation des personnes détenues en travail, formation, services généraux, scolaire très élevé. Il propose, des formations diversifiées qui répondent bien aux besoins du bassin d’emploi.

Les décisions et la gestion des personnes détenues en ce qui concerne le travail et la formation sont assurées en totale concertation avec le groupement privé, allant jusqu’à permettre quelques tentatives de mise au travail de personnes qui sont éloignées d’objectifs de rentabilité. Les installations sportives bien fournies, sont faciles d’accès et de nombreuses activités en permissions de sortir sont organisées.