Site du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Recommandations en urgence relatives à la maison d’arrêt des hommes du centre pénitentiaire de Fresnes (Val-de-Marne)

photo : JC Hanché pour le CGLPL

Au Journal Officiel du 14 décembre 2016 et en application de la procédure d’urgence, la Contrôleure générale a publié des recommandations relatives à la maison d’arrêt des hommes du centre pénitentiaire de Fresnes (Val-de-Marne).

L’article 9 de la loi du 30 octobre 2007 permet au Contrôleur général des lieux de privation de liberté, lorsqu’il constate une violation grave des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, de saisir sans délai les autorités compétentes de ses observations en leur demandant d’y répondre.

Le ministre de la justice a été destinataire de ces recommandations et a apporté ses observations, également publiées au Journal Officiel.

 

Lire les recommandations du CGLPL et la réponse du garde des sceaux

Voir des photographies de la visite

Le constat dressé par les douze contrôleurs qui ont visité, du 3 au 14 octobre 2016, la maison d’arrêt des hommes du centre pénitentiaire de Fresnes fait apparaître sans aucun doute des violations graves des droits fondamentaux, notamment au regard de l’obligation incombant aux autorités publiques de préserver les personnes détenues de tout traitement inhumain et dégradant.

Sur les recommandations :

Une surpopulation inacceptable entraînant des conditions de vie indignes

Le nombre de personnes détenues au centre pénitentiaire de Fresnes a augmenté de plus de 52 % en dix ans, passant de 1960 en 2006 à 2989 en 2016. Pour la seule maison d’arrêt des hommes, le taux d’occupation moyen est de 188 %. La population pénale est ainsi répartie :

  • La 1ère division héberge 614 personnes pour une capacité théorique de 386 places (taux d’occupation de 159 %) ;
  • La 2e division héberge 862 personnes pour une capacité théorique de 432 places (taux d’occupation de 199 %) ;
  • La 3e division héberge 861 personnes pour une capacité théorique de 428 places (taux d’occupation de 201 %).

Les cellules sont en principe individuelles, d’environ 10 m2. Pourtant, seul 13 % de la population incarcérée bénéficie d’un encellulement individuel, 31 % doit partager une cellule à deux et 56 % une cellule à trois. Dans ces cellules, une fois déduite l’emprise des lits (trois lits superposés), des toilettes et de la table, trois personnes doivent alors vivre dans un espace d’à peine 6 m², bien inférieur aux normes fixées par le Comité européen de prévention de la torture (CPT). Les toilettes, mal isolées, le délabrement de l’immobilier et l’hygiène déplorable rendent le confinement plus intolérable encore.

La surpopulation touche de nombreux établissements pénitentiaires français, mais à Fresnes, son caractère massif et durable lui confère un caractère particulièrement indigne.

Il est nécessaire que le taux d’occupation de l’établissement diminue rapidement et de manière conséquente, en commençant par la suppression immédiate des encellulements à trois.

Des locaux inadaptés et des conditions d’hygiène désastreuses

Les parloirs (boxes d’1,3 à 1,5 m²) reçoivent de manière habituelle jusqu’à quatre personnes. L’absence d’aération, l’accumulation de salpêtre et de crasse sur les murs en font des lieux indignes, tant pour les personnes détenues que pour leurs visiteurs.

Les cours de promenade sont exiguës et dépourvues de bancs et d’abris. En l’absence de toilettes, les personnes détenues urinent dans des bouteilles qu’elles projettent ensuite par-dessus les murs. Il n’est pas rare que l’on voie plus de vingt-cinq personnes dans un espace d’environ 45 m².

Les rats évoluent en masse au pied des bâtiments, dans les cours de promenade et aux abords des bâtiments tout au long de la journée. Ils ne s’effraient pas de la présence d’êtres humains. Leur odeur s’ajoute à celle des ordures au pied des bâtiments (pollution résultant en partie d’actes d’incivilité, mais aussi d’autres facteurs : promiscuité, absence de réfrigérateurs, taille insuffisante des poubelles). Cette situation porte directement atteinte à la santé des personnes, détenus et personnel.

L’établissement est infesté par les punaises de lit. Entre mars et octobre 2016, 281 cas ont été déclarés à l’unité sanitaire (10 % des consultations). La promiscuité dans les cellules accroît la gravité de cette situation. Les contrôleurs ont vu de nombreuses personnes détenues présentant des traces de piqûres.

La présence des rats et des punaises est connue des autorités. Pourtant, elle n’a pas été traitée par des mesures proportionnées au problème : les protocoles de désinfection et de dératisation mis en place sont ponctuels, partiels et inefficaces.

La rénovation du centre pénitentiaire de Fresnes constitue une urgence. La présence de nuisibles porte à la fois atteinte à la dignité et à la santé des personnes détenues et des professionnels présents dans l’établissement. Des mesures de dératisation et de désinsectisation d’ampleur doivent être immédiatement réalisées.

Un personnel en nombre insuffisant pour assurer l’ensemble de ses missions

Le nombre de surveillants et de gradés est relativement stable depuis 2012, alors même que la population incarcérée a augmenté de près de 20 % sur la même période.

Les contrôleurs ont été témoins du travail effréné des surveillants soumis à une pression constante qui les empêche de faire face à leur programme et aux multiples sollicitations des personnes détenues. Un surveillant d’étage, seul pour prendre en charge 120 personnes, ne peut matériellement effectuer tous les mouvements nécessaires pour permettre aux personnes détenues de se rendre aux activités, soins ou rendez-vous prévus, et moins encore répondre aux demandes. Le respect des droits aux soins, au travail, au maintien des liens familiaux, à l’enseignement, etc., est structurellement impossible.

Le personnel du centre pénitentiaire de Fresnes doit être rapidement renforcé par des agents expérimentés, afin d’être adapté à la réalité des tâches à accomplir.

Un climat de tension permanente, un usage banalisé de la force

Il existe au sein de la maison d’arrêt de Fresnes un réel « climat de tension » dont les contrôleurs ont pu être témoins. Cette ambiance se traduit par des cris constants et un manque de respect envers les personnes détenues, qui confine à la violence verbale.

De nombreux témoignages, tant de personnes détenues que de professionnels, font état d’un usage banalisé et immédiat de la force sans que la nécessité de son utilisation soit toujours avérée. Un contrôleur a ainsi vu une personne détenue être, suite à un « blocage » sans violence, immédiatement maîtrisée par la force, puis conduite au quartier disciplinaire dans une position douloureuse, alors même qu’elle ne se débattait pas. Un coup de pied lui a été asséné alors qu’elle était immobilisée. Le compte rendu d’incident, mentionnant une bousculade d’un surveillant par la personne détenue et un emploi « strictement nécessaire » de la force, ne correspondait pas aux images de vidéosurveillance.

Des actes de violence de la part de certains membres du personnel ont également été rapportés aux contrôleurs avec une fréquence telle qu’il est impossible de douter de leur réalité. Des entretiens avec des professionnels, y compris parmi le personnel de surveillance, l’ont confirmé.

Les violences entre personnes détenues sont fréquentes. Des zones de risque sont clairement identifiées : les douches et les salles d’attente (non surveillées), ainsi que les cours de promenade (dont la surveillance est illusoire sachant qu’un surveillant est chargé de contrôler une douzaine de cours).

Les compte-rendu d’incident doivent être systématiquement contrôlés par la direction et des mesures immédiates doivent être prises, en particulier par des actions de formation et par un renforcement déterminé de l’encadrement, pour mettre un terme au climat de violence qui imprègne l’établissement.

Un recours trop systématique aux fouilles intégrales

A la maison d’arrêt de Fresnes, le recours aux fouilles à corps fait l’objet de pratiques locales qui violent les droits des personnes détenues et ne sont pas conformes à la loi. Une note interne définit des critères si extensifs qu’en pratique la fouille à corps devient la règle et non plus l’exception. En témoigne le fait que les surveillants n’ont pas une liste des personnes à fouiller, mais seulement de celles qui ne doivent pas l’être. Plus grave encore, en deuxième division, les fouilles à corps sont systématiques, ce que l’encadrement semblait ignorer.

Les fouilles à corps ne doivent être pratiquées que dans les situations prévues par la loi, sur le fondement d’une décision motivée et seulement lorsqu’elles sont nécessaires ; elles doivent être effectuées de manière proportionnée au risque identifié.

Une utilisation mal contrôlée des « salles d’attente »

Si leur utilisation ponctuelle peut être justifiée par la succession de nombreux mouvements, l’usage qui est fait des « salles d’attente », localement appelées « placards », est particulièrement indigne, brutal et abusif.

Il s’agit d’espaces réduits dans lesquels les personnes détenues sont placées, debout et parfois en nombre. Elles peuvent y rester de longues heures, dans l’attente d’un entretien qui parfois n’arrive jamais, pour des motifs incertains. Des brutalités et des violences se déroulent dans ces lieux, hors de tout contrôle. Le soupçon de placements « au placard » pour des motifs infra-disciplinaires est largement répandu dans la population pénale.

Les salles d’attente doivent être aménagées conformément à leur destination, utilisées dans la limite des places offertes et pour des durées compatibles avec un délai d’attente raisonnable que l’administration doit définir et contrôler.